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Titel
Banken im Sturm. Die Politisierung des Schweizer Finanzplatzes in den 1970er- und 80er-Jahren


Autor(en)
Tobler, Lukas
Erschienen
Zürich 2021: Chronos Verlag
Anzahl Seiten
276 S.
Preis
CHF 48.00; € 48,00
von
Thibaud Giddey

En mars 2023, la débâcle du Crédit Suisse a remis au premier plan de l’actualité politique et économique les questions relatives à l’image de la place financière suisse, aux critiques qu’elle subit et à la façon dont elle y réagit. Le livre de Lukas Tobler, paru quelques mois plus tôt, tombe à pic. Il éclaire une phase précédente de l’histoire récente des banques helvétiques, décisive, en exposant comment les relations entre les banques, l’État et la perception de la finance ont évolué en Suisse entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980.

Issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Lucerne, ce remarquable ouvrage met en évidence les césures significatives qui marquent la transition de la période des Trente Glorieuses, âge d’or de la place financière, vers la phase plus turbulente des années 1990, caractérisée par une forte concentration et une internationalisation croissante.

Le tournant des années 1970–1980 marque une importante rupture, à en croire la thèse défendue par l’auteur, en ce que le patronat bancaire met en place une véritable stratégie de communication visant à influencer l’opinion publique et à améliorer l’image du secteur. Cette opération de communication à large échelle est remarquablement mise en évidence, en particulier grâce à l’exploitation du fonds d’archives de la société Farner Consulting AG, fondée en 1951 et devenue l’une des agences de publicité les plus connues de Suisse. La Farner avait en effet été engagée par l’Association suisse des banquiers pour diriger la campagne contre l’initiative fédérale socialiste dite «contre l’abus du secret bancaire et de la puissance des banques», déposée en 1978 et massivement rejetée (73 % de non) en 1984. Au dépouillement de ce fonds déposé aux Archiv für Zeitgeschichte s’ajoute une mobilisation intense des archives de l’Association suisse des banquiers, et, dans une moindre mesure, de celles de l’Union suisse du commerce et de l’industrie, de quelques fonds des Archives fédérales et de la documentation produite par le Parti socialiste (Archives sociales suisses). On a donc affaire à une recherche richement documentée.

L’ouvrage, rédigé dans un style clair et avec une structure qui permet de suivre le récit facilement, est composé de sept chapitres. Les deux premiers, qui s’appuient essentiellement sur la littérature secondaire existante, resituent le contexte de longue durée dans lequel les événements du dernier tiers du 20e siècle prennent place. La croissance et le développement international des banques au cours du siècle dernier y sont exposés, avec un appareil statistique relativement modeste et dans une approche relevant davantage de l’histoire politique. L’origine et l’amplification des principales critiques à l’égard de la place financière entre la Seconde Guerre mondiale et les années 1970 sont également abordées. Pour Tobler, un processus de politisation et de «scandalisation» est à l’oeuvre, avec comme points de crispation les capitaux en fuite, en particulier ceux en provenance du Tiers-monde, l’accueil des fonds d’origine illicite ou douteuse notamment les capitaux de dictateurs, le rôle du secret bancaire et des comptes numérotés dans la facilitation de l’évasion fiscale, ou encore le contrôle exercé par les banques sur de larges pans de l’économie privée par le biais de participations. L’auteur met bien en évidence comment ces critiques émanent à la fois – ou parfois successivement – à l’international (autorités américaines et britanniques, OCDE, etc.) et d’institutions nationales (gauche politique, organisations tiers-mondistes, Églises, etc.).

Les chapitres 3 et 4 forment le noyau central de l’interprétation au coeur de l’étude. Ils abordent le scandale de Chiasso de 1977, une affaire affectant une succursale du Crédit Suisse, et la façon dont cet événement a eu des retombées significatives et en quoi il a déclenché une large opération de communication de la part des banques pour redorer leur blason. Tobler montre bien comment les révélations fracassantes sur les agissements des banquiers au sud du Tessin entraînent des contre-campagnes visant à la fois à détourner l’attention et à court-circuiter des réponses politiques ou législatives. L’adoption à marche forcée de la Convention de diligence des banques, un dispositif d’autorégulation du secteur bancaire, début juin 1977 (moins de deux mois après l’éclatement du scandale!) en est l’exemple le plus frappant. En outre, l’auteur montre bien comment l’initiative du Parti socialiste, dont la récolte de signatures débute en octobre 1978, n’est au fond qu’un élément déclencheur de l’opération marketing mise en place par les milieux bancaires, dont l’objectif fondamental, au-delà du rejet en scrutin populaire dont on ne doute guère, est d’améliorer durablement l’image et la perception des banques en Suisse. On comprend aussi comment le scandale de Chiasso, puis l’initiative socialiste, ont eu des effets collatéraux sur d’autres discussions législatives en cours, en particulier le projet de loi sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale et le projet de renforcement de loi fédérale sur les banques. Tobler décortique ces débats parfois techniques et analyse les stratégies déployées par les milieux bancaires pour accélérer, ralentir ou stopper le rythme de l’élaboration législative selon leurs intérêts spécifiques.

Les deux chapitres suivants traitent d’objets hautement intéressants, mais dont le lien direct avec la thèse principale de l’ouvrage est moins évident. La crise internationale de la dette (chapitre 5) et les discussions politiques et sociales quant aux relations financières avec l’Afrique du Sud (chapitre 6) y sont abordées. L’objectif essentiel de ces deux cas d’étude est de montrer comment, après le scandale de Chiasso de 1977, certains mécanismes de soutien et de solidarité entre l’État et le secteur bancaire ont influencé la politique extérieure du pays. Enfin, le septième chapitre revient sur la dérégulation et l’internationalisation croissante de la place financière au cours des années 1980 et 1990 et met en évidence la capacité d’adaptation et de résistance des banques, par exemple dans le contexte de la pression américaine contre l’insider trading et dans celui de la tentative de dissolution des cartels des banques sous la houlette de la Commission fédérale des cartels.

On regrette toutefois quelques angles morts dans l’analyse. La position et le rôle ambigus de la Banque nationale suisse, dont les archives sont – elles – librement accessibles, auraient pu être présentés de manière plus approfondie. La grave crise économique qui affecte la Suisse entre 1974 et 1976, qui débouchera sur le slogan «Finanzplatz gegen Werkplatz», est également trop rapidement survolée. Plus fondamentalement, on pourrait aussi discuter le caractère inédit de la critique des banques dans les années 1970 et 1980: ne pourrait-on pas y voir aussi une résurgence de certaines tentatives de réformes socialistes déjà à l’oeuvre pendant l’entre-deux-guerres notamment? De manière générale, l’approche adoptée dans cette recherche met l’accent sur les perceptions sociales des phénomènes, notamment à partir des discours. Il aurait été utile de compléter cette méthodologie par une approche chiffrée plus systématique, par exemple pour mesurer l’ampleur du financement de la campagne contre l’initiative sur les banques orchestrée par Farner.

Malgré ces quelques réserves, Banken im Sturm, en s’appuyant sur un terreau fécond d’études proposant une lecture politique de l’histoire bancaire, met en évidence la capacité d’action et de réaction des milieux financiers, dans une phase troublée de leur histoire. L’auteur reconnaît aussi à juste titre que cette période voit la cristallisation de deux lectures idéologiquement opposées de l’histoire bancaire: l’une mettant l’accent sur les succès et sur son rôle de poumon économique libéral dont bénéficie le reste de l’économie, l’autre insistant sur l’image négative qui résulte de certaines pratiques moralement douteuses. Ce livre comble donc une lacune dans l’historiographie bancaire suisse, en proposant une analyse sourcée d’une phase cruciale, qui avait jusqu’à maintenant été traitée essentiellement dans des ouvrages commandés par les banques ou dans des recherches journalistiques.

Zitierweise:
Giddey, Thibaud: Rezension zu: Tobler, Lukas: Banken im Sturm. Die Politisierung des Schweizer Finanzplatzes in den 1970er- und 1980er-Jahren, Zürich 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(3), 2023, S. 427-429. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00134>.

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